Une Grande Cense en Pévèle, au XIIIème siècle
La Ferme de la Croix, à Faumont 
Inséparables de notre paysage rural, les grandes fermes à "cour fermée" ornent les campagnes du Mélantois, de la Pévèle, de l'Ostrevant, du Carembault et du pays de Weppes.

En Pévèle, rares sont les villages qui ne possèdent une ou plusieurs de ces grandes censes, anciennes fermes abbatiales ou seigneuriales pour les plus importantes et dont certaines nous sont parvenues dans leur état du XVIIIème siècle. 

Nous nous proposons d'évoquer l'une de ces "censes à Maître", la ferme de La Croix, encore appelée "des Anglais", à Faumont. Aujourd'hui disparue. elle fut l'une de ces fermes importantes, siège des plus grandes exploitations et qui, avec les maisons de censes de moindre grandeur et les modestes chaumières des ménagers, des ouvriers agricoles, constituaient le tissu architectural de notre habitat rural. 

Un beau plan - terrier du village de Faumont (1) ainsi qu'un procès verbal de mesurage et d'estimation de la ferme (2) , tous deux du XVIIIéme siècle, constituent l'essentiel de notre documentation. Celle-ci, hélas, ne satisfait que trop peu notre curiosité. Beaucoup d'aspects nous échappent : l'évolution même de la cense (s'agit-il d'une ferme entièrement reconstruite à l'époque du procès-verbal de mesurege ?), l'identité des propriétaires, l'étendue de la propriété, le bétail ... Questions qui restent, au terme de cette évocation, sans réponses. 

(1) A.d.N. Plan Douai 55
(2) Bibliothèque Municipale de Lille. Archives anciennes Lille et Communes. Boite 8. Faumont  

De la Croix, Plancabille et d'autres.

Le plan - terrier situe la ferme de la Croix à gauche de la rue Coquet qui. se prolonge par 1a rue du moulin de Marquette, lorsqu'on vient du chemin de Lille à Douai, c'est-à-dire de notre départementale D 917 qui joint ces deux villes par Pont à Marcq. A droite de la ferme, à quelques centaines de mètres en arrière d'elle, s'élève la cense de Plancabille, proche de la rue de la Picterie. 

Rendu sur le terrain, nous avons pu localiser facilement l'emplacement de l'ancienne ferme de la Croix. Les rues ont gardé leur nom du XVIIIème siècle et "Plancabille", elle, est toujours là pour nous servir de repère. Il existe aujourd'hui une nouvelle ferme de la Croix construite sans doute au siècle dernier, juste en bordure de la rue Coquet. Derrière elle, à une centaine de mètres, il ne subsiste de l'ancienne cense qu'une partie de la façade en Fort mauvais état. Seule la porte principale aujourd'hui murée, mais dont on aperçoit bien la trace laissée par les piédroits en grès ainsi que le départ du pigeonnier, désormais arasé, témoignent difficilement de l'importance des anciens bâtiments. Sur la toiture qui coiffe l'ensemble, des tuiles brunes dessinent une croix comme pour en perpétuer le nom. 

Quittons ces ruines pour essayer d'imaginer la cense quelques deux cents ans plus tôt, à l'époque où, belle et bien bâtie, elle était dirigée par un riche laboureur employant une abondante main-d'oeuvre. 

De Briques, de Pannes et de Gluis

Le corps de ferme forme un quadrilatère presque carré, tout juste un peu plus long que large, prolongé à droite de la façade principale par l'habitation du maître, nommée quelque peu pompeusement "le château", sur laquelle vient se greffer 1a chapelle. 

Vus de l'extérieur, les murs sont aveugles, nulles fenêtres, seules la grande porte charretière, une seconde à gauche pour accéder aux champs, puis celles de la grange face à la "pâture de derrière", percent ces murailles sévères qui dissimulent pourtant tant de vie, de travail, d'allées et venues, qui atténuent tant de bruits où se mêlent les cris des bêtes aux ordres lancés et le martèlement des outils aux aboiements des chiens. Car ici, tout s'ouvre vers l'intérieur, vers la cour, véritable "place publique" d'une petite communauté presqu'autarcique. 

Cette grande ferme pourrait paraître austère, semblable à d'autres plus vastes encore ou souvent plus petites, si les couleurs et surtout les volumes ne venaient donner une impression d'équilibre, de force, d'intégration à l'espace, aux paysages qui l'entourent. Les murs sont construits en briques dont les teintes rouge-orangé tranchent sur un soubassement de grès bien taillés qui f ait le tour entier des bâtiments. L'assise est solide, massive et protège de l'humidité du sol. L'oeil accroche immédiatement la seule ligne verticale, petit beffroi qui surplombe le porche d'entrée : le pigeonnier revêtu d'ardoises, puis suit le faîtage des bâtiments de côté couverts de tuiles flamandes, bute enfin sur l'imposante toiture de la grange, horizontalité de chaume gris et jaune. 

Le choix des matériaux montrent bien que cette grande ferme est le siège d'une exploitation importante. En effet au XVIIIème siècle, briques, tuiles et ardoises sont relativement rares et réservées exclusivement aux plus grosses censes, aux plus riches, celles qui exploitent plusieurs dizaines d'hectares. Celles de moindre importance avaient le plus souvent des murs de pisé et des toitures de chaume. 

Le Château

Approchons-nous de l'habitation de ce propriétaire aisé. Dans la plupart des cas, la maison d'habitation se trouve sur le côté ou au fond de la cour. Ici, sans en connaître la raison, la demeure est f ace à la route. Intégrée pour partie à la ferme, elle s'en sépare néanmoins puisqu'elle prolonge La façade principale. C'est une construction rectangulaire toute en briques sur un soubassement de grès plus haut que pour la ferme proprement dite. De grandes fenêtres, devant et derrière, ajourent ses murs au-haut desquels court une corniche moulurée en pierre blanche,. Une toiture d'ardoise dissimule une lourde charpente toute en bois de chêne. 

Il nous faut franchir un petit pont pavé de grès pour accéder à la porte principale. Au milieu de la façade, précédée d'un petit perron aux marches semi-circulaires; elle s'ouvre sur un vestibule assez étroit. Au fond de ce couloir qui traverse la maison, une autre porte, celle de derrière, donne 

La Bergerie

L'ensemble de l'aile gauche de la ferme est réservé aux "blanches bêtes". En effet, six étables à mouton constituent une importante bergerie qui devait abriter plus d'une centaine de bêtes. Il s'agit incontestablement d'une des activités premières de la ferme qu'on pourrait appeler également "cense à moutons". 

Au XVIIIème siècle, partout en Pévèle, l'élevage ovin reste important et la plupart des fermes grandes ou moyennes possèdent un troupeau. Les bergers disposent d'endroits réglementés pour le pacage ainsi que des champs environnants après les récoltes. 

La Grange

Plus haute et plus large que les autres bâtiments de la basse-cour, la grange, massive, forme presqu'à elle seule, tout l'arrière de la ferme. Le chaume qui la coiffe tranche nettement avec les pannes et les ardoises qui couvrent les autres parties de la ferme. Certes, le danger d'incendie n'est pas ignoré du propriétaire mais, à l'époque et encore pendant une grande partie du XIXème siècle, les cultivateurs préféreront les couvertures de paille à toute autre, car elles "conviennent mieux aux récoltes entassées sous le toit". Quatre grandes portes placées en vis à vis, permettent aux lourdes charrettes d'entrer et sortir sans effectuer de marche arrière. 

La grange est traditionnellement divisée en trois parties. A gauche et à droite, on y entrepose, la moisson terminée, le blé qu'il faudra battre. Le centre constitue l'aire où, à la fin de l'automne, on pratique le battage au fléau. L'aire est construite avec soin "à l'aide d'un mélange d'argiles, de cendres lessivées, de paille finement hachée, parfois de bouses de vaches" (Louis Trénard). 

Quand cela est rendu possible, on utilise parfois cet impressionnant espace couvert comme hangar ou comme atelier où l'on range et l'on entretient les différents véhicules nécessaires aux transports . tombereaux et autres chariots. 

De la grange à la maison d'habitation s'aligne le dernier corps de bâtiment qui ferme ce carré. Tout d'abord, une grande étable à vaches contre laquelle s'appuie le "pourchi", encore appelé "lieu secret" où l'on vient f aire ses commodités. L'étable communique avec un réduit sans fenêtre où s'accroche un escalier qui permet de monter aux vastes greniers qui occupent toute la superficie de l'étable et de l'écurie. Ce réduit, étroit corridor, fait office peut-être de lieu de sommeil où dort quelque garçon-vacher près des bêtes. 

Le dernier bâtiment qui rejoint la maison du maître est l'écurie. Le fermier est toujours attentif à ses bêtes, en particulier aux chevaux sont les principaux animaux de trait employés au labourage plusieurs fois répété au cours de l'année. De manière générale, l'écurie n'est jamais éloignée de l'habitation et souvent comme ici, elle la jouxte. Plus vaste que l'étable, elles sont l'une et l'autre voûtées en briques sur sommiers de bois. Le sol est en terre battue. 

De la cour elle-même, nous ne savons rien. Nous pouvons imaginer facilement l'inévitable tas de fumier, sans doute aussi un abreuvoir. Autour d'elle, large de plus d'un mètre et surélevé de quelques quatre-vingt-dix centimètres, court un trottoir le "grébion". Le pavage et ses bordures de seuil sont en grès. Les toitures des différents bâtiments qui le longent, forment une avancée, sorte d'auvent qui protège de la pluie. 

A l'extérieur de l'enceinte que constitue la ferme, il existe probablement de petites annexes. La plus importante d'entre elles est la brasserie qui a été portée sur le plan par l'arpenteur sans que nous en connaissions l'emplacement exact. De forme rectangulaire, construite en briques sur soubassement de grès, elle est couverte de tuiles. 

Au XVIIIème siècle, plusieurs brasseries apparaissent en Pévèle. Paul Delsalle précise "qu'elles étaient souvent des annexes des grandes auberges ou des fermes". Citons Bourghelles en 1738 et Wannehain en 1729. 

A l'intérieur, chaudière, cuves et chaudrons constituent l'essentiel du mobilier. C'est aussi dans la brasserie que se trouve le fournil où l'on cuit le pain. 

L'évocation rapide de cette grande cense, aujourd'hui disparue, n'aborde qu'à peine et bien modestement l'étude de l'habitat rural en Pévèle. Cette grande étude reste à faire. Elle est d'autant plus urgente que ce qui reste de cet habitat se dégrade et disparaît depuis plusieurs dizaines d'années. Les difficultés liées à l'agriculture, l'exode rural, les transformations techniques sont autant d raisons. Celles-ci ajoutées aux fautes de goût, à l'ignorance, voire à lé bêtise de certains citadins venus "vivre à la campagne" font que l'on peut parler de "crépuscule de l'architecture rurale" où il est â redouter "que dans un délai très court l'étude de cette architecture devienne un domaine de l'archéologie et se réduise à l'étude de vestiges" (P.Boissé). 

Jean-Claude REMY
- B I B L I 0 G R A P H I E 

. Nos ancêtres les paysans. Aspects du monde rural dans le Nord - Pas-de-Calais des origines à nos jours. CRDP. 1983. 

. Une ferme en Mélantois. Collectif. Editions Axial. 1977. 

. Le Pays de Pévèle en ce temps-là. Paul Delsalle avec la collaboration de Denise Poulet et Paul Delboe. Editions des beffrois. 1986.